Le monde contemporain découvre la pandémie, le confinement, le couvre-feu et se trouve confronté à une improvisation extraordinaire relevant de situations surréalistes. S’y mêlent la peur, la méfiance, le doute, trouvant en échos bariolés à ce chaos les décisions politiques et autoritaires des chefs, girouettes cherchant le point cardinal le plus adapté à leurs ordres confus, contredits par des évènements qui nous prouvent enfin (s’il en était besoin) que nous sommes bien ridicules et insignifiants dans ce monde qui pourrait bien, par le plus infime de ses prédateurs viraux, nous réduire à néant. ,
« Tout » ce que l’homme a conçu pour dominer et maitriser cette Terre (guerre, racisme, capitalisme sauvage, exclusions, révolutions nombrilistes, menaces atomiques, terrorismes religieux, extinctions végétales et animales -la liste est longue comme une litanie morbide-) « Tout » (et son reste !) est aux portes de l’effondrement général et ce malgré le courage de celles et ceux qui sur le terrain (et non dans les ors du Pouvoir) se battent , à tous niveaux et avec générosité, contre ce virus mutant. Ceux que l’on ignore sont plus efficaces et plus anonymes que celles et ceux que l’on entend toute la journée nous donner des ordres et des leçons, un miroir dans la main, gauche ou droite peu importe…

La terreur n’est ,hélas, pas nouvelle dans l’histoire du monde, mais l’incroyable assurance des hommes puissants à se croire maîtres de notre espace de Vie est sidérant : Les bavards, les politiques de tous poils, les riches engloutis dans leur fortune, les responsables du spectacle navrant de nos misères, les prophètes et les calculateurs, les médiateurs, les commentateurs si nombreux à prétendre détenir la vérité, quelle que soit leur résidence, tous ces « spécialistes »invités sur les plateaux du show-planétaire nous conduisent irréductiblement à porter deux masques plutôt qu’un :
Celui sanitaire devenu un voile indispensable et l’autre plus effrayant qui marque notre distance, notre méfiance, notre refus contraint de ne plus croire aux chimères d’avant . Car « l’avant « on le connait pour y patauger depuis des décennies : s’enrichir, écraser l’autre qui ne me convient pas, lui trancher la gorge, l’exploser s’il le faut, posséder et être puissant, s’imposer sur les réseaux de la bêtise, paraitre, investir pour briller encore, résumer la vie à trois ou quatre mots vides de sens, promouvoir une culture de façade et d’amusement, se foutre de la morale et de la dignité, dominer l’espace et le temps, et surtout ignorer celle ou celui qui ne « me » rapporte rien. Tartuffe et Ubu au Pouvoir… Ca c’était « avant » et c’est toujours « pendant« , mais Après ?
Tout est à reconstruire, s’il n’est pas trop tard, mais c’est quoi exactement « Tout » ? Il serait bon de lire ou relire le Leviathan de Hobbes pour comprendre les rouages du pouvoir, l’organisation de l’Etat, la « soumission » du peuple et analyser de façon contemporaine ce que Hobbes déclarait en 1650 : » Si le peuple « vulgaire » (vulgus pecus) n’est pas capable de comprendre les justes principes du gouvernement, cela est la faute de l’influence exercée par le gouvernement et par les savants, car « les esprits des gens du commun, à moins que ces esprits n’aient été corrompus par la dépendance à l’égard des puissants, ou qu’ils n’aient été griffonnés par les opinions des docteurs, sont comme une feuille vierge, propre à recevoir tout ce que l’autorité publique y imprimera »24. Le Pouvoir, mondialement orchestré, uniformément attaché à sa puissance, sa gloire et ses vastes profits s’arrange de Tout et dicte ses ordres (et ses contre-ordres) de façon verticale et autoritaire quelques soient ses bévues, ses erreurs, ses excès d’autorité , ses myopies.
Les chefs s’arrangent entre eux, les chefs font des promesses qu’ils oublient , les Rois du monde, chacun d’entre eux obsédé par sa cour et son image, se regardent le nombril comme si celui-ci était le centre névralgique de la société des » hommes » (sui generis). Mais l’homme , l’individu respectable et censé a disparu. Le monarque donne ses ordres au bas peuple et celui-ci s’exécute, perdu dans la masse muselée et globalement soumise dont le silence est contrôlé par les médias et les réseaux « autorisés », qui au lieu de souligner l’individualité, surlignent la somme confuse, comme on gère un troupeau dont on oublie de qui, de quoi il est constitué. Du moment qu’il reste un troupeau docile, obéissant et productif pour enrichir l’éleveur.
La pandémie révèle aujourd’hui la médiocrité de l’élevage en question. Car cette foule soumise n’est en fait constituée que de multiples solitudes. Et les Rois ne s’adressent, par l’intermédiaire de leurs valets, qu’à la foule, supposant que celle-ci est en soi une réalité négociable, aux ordres ! Alors on cite les acteurs ( actrices) du milieu médical (!)très présents sur les plateaux de télévision, les professionnels de la restauration, les » chefs « d’entreprise , les Ephad, les « scolaires » , les intermittents du spectacle (qui voudraient soudainement devenir permanents) mais jamais on semble comprendre ou s’adresser véritablement à chacun ( chacune) des individualités (riches et différentes) qui composent ces masses vues » d’en haut » , considérées de » loin » ! L’individu en tant que tel, digne, respectable est évacué et n’est plus qu’un numéro anonyme dans les chiffres de l’Etat. Certes les syndicats veillent (!) mais toujours dans une relation privilégiée avec le gouvernement , très vite absorbée et banalisée par ce dernier. La démocratie est un leurre. Le virus accentue l’isolement, défait les liens sociaux, caricature nos situations. Seul l’argent fait un éphémère pansement sur des blessures qui au delà des prétendues générosités de l’Etat se gangrènent en profondeur. Le Roi-président ne voit que son propre parcours dans un miroir très déformant et, bouffon qui s’ignore, se voit déjà comme son propre successeur. Il prépare déjà les promesses qu’il ne tiendra pas. Mensonge, virus et show-biz. La ministre de la » Culture »danse avec les nantis et promet que la fête (très parisienne) va bientôt reprendre ! La cour s’amuse, les citoyens » ordinaires » se meurent. Masqués, déshumanisés, mécanisés par les ordres, réduits au silence, étouffés par les commentaires officiels, devenus solitaires invisibles, les « hommes » raisonnables et dociles sont aujourd’hui méprisés et contrôlés par les polices de l’Etat : Taisez-vous et au lit !! Le jaune des gilets s’est délavé…,

Venons-en à la solitude du peintre… L’artiste- a priori- dans son atelier exerce une activité solitaire, loin du bruit, loin des jugements car seule sa relation à l’art le bouscule et le provoque dans ses retranchements…Pourquoi peindre encore? Notre monde est constitué d’images immédiates, corrigées (falsifiées?) par photoshop et multipliées à l’indigeste infini pour nourrir le spectacle de l’instant par lui même amnésique et aussi vite oublié qu’il a été produit pour le réseau mondial, miroir aux alouettes, aveugles et déjà gavées. Donc le » peintre » fait de la résistance et vit dans le « maquis », rétif aux consécrations médiatiques d’affairistes prétendus » informés » et culturels. L’écrivain comme le peintre travaille isolé, confiné dans sa recherches de mots, de récit, d’histoires imaginés en « silence ». Le confinement n’est pas une découverte ni une punition, (enfin en principe) c’est un état conduit par la création, c’est un choix. Le peintre ( mot générique) est confronté en permanence à la solitude. Mais il espère bien évidemment une certaine forme de reconnaissance et celle-ci ne peut venir que de l’interêt de certain(e)s pour son travail. A une époque cet intérêt était porté par des galeristes, des « critiques » (que ce mot est ambigü !) des collectionneurs, bref des individualités capables de s’étonner et de se mobiliser pour aller vers les artistes, pour les rencontrer, regarder, bavarder sur le lieu même du » délit » de création. La verticalité du pouvoir a inversé cette démarche et plus personne ne recherche ces rencontres si celles-ci ne sont pas cautionnées par les hautes sphères officielles du » spectacle de l’art « . Non seulement l’artiste travaille confiné mais, à moins de faire le trottoir de la renommée, trompettes incluses, il est condamné à le rester. Il fait partie de ces individus que l’on ignore parce qu’ils refusent (ou ne peuvent s’en extraire) ce mépris des puissants. Le confinement (sanitaire ?) ressemble à ces solitudes non désirées que l’on impose, police à l’appui, à celles et ceux qui le subissent psychologiquement, socialement, humainement depuis longtemps sans que quiconque ne s’en inquiète… Il y a dans nos sociétés « avancées » des individus transparents !!
Et contre l’indifférence, il n’y a pas de vaccin, contre la solitude il n’y a pas de programme politique, car la politique fonctionne sur le nombre d’adhérents à un mensonge ou une illusion mais jamais sur la re-connaissance humaine de l’individu en tant que tel, singulier, unique et vivant.
Or il est souffrant et désespérément méconnu.


Comment, dans une société prétendument ouverte, au sein de laquelle l’information semble permanente au risque de devenir inaudible parce « qu’assommante », n’est-il pas possible d’entendre les échos d’une vraie démocratie au sein de laquelle toute expression pourrait être considérée et non pas ligotée, étouffée, ignorée ? Comme le dit André Akoun dans Cairn info : « …paradoxalement, nos sociétés de communication peuvent aussi bien être définies comme des sociétés où la communication y est la plus problématique, car, à considérer l’évolution du paysage médiatique, ce qui apparaît, c’est la constitution d’un univers saturé de messages où plus rien ne semble véritablement être dit ni être entendu et d’où tout sens est absent. » J. Habermas s’interroge : « Les nouveaux médias captivent le public des spectateurs et des auditeurs, mais en leur retirant par la même occasion toute distance émancipatrice, c’est-à-dire la possibilité de prendre la parole et de contredire. »
Le peintre ne fait pas un travail de » commentaire « . Il est, comme l’écrivain, en amont de l’avis, du parti-pris, de la glose. Il invente un langage, un espace, un possible récit et son oeuvre peut nous être offerte au regard si nous acceptons de nous y plonger. Cet exercice de la pensée, cette patience nécessaire (on ne lit pas un livre en se suffisant de son titre ou du résumé) exigent ce « temps » que notre société bafoue, une information chassant l’autre, une image étant ruinée par la suivante. A l’opposé de cette patience exigée, de cette invitation offerte, notre » culture contemporaine » nous propose le bavardage, la compression , la starisation, la caricature et l’évitement et paradoxalement, comme solution à l’emporte-pièce : l’état d’urgence.
Circulez y a rien à voir d’autre que ce que l’on vous montre ! A la pensée unique s’accouple la vision unique…
Nous vivons une époque d’aveuglement contrôlé. Confinement et aveuglement étant bercés par les slogans confondus avec les idées, par les ordres déguisés en refrains médiatiques. Le peintre ou l’écrivain (mais également tant d’autres femmes et hommes de » bonne volonté », isolés, ignorés) sont sans importance pour les bonnes consciences dirigeantes, pour les bruiteurs de jour comme de nuit, pour les titulaires de micros et caméras. Or ce sont elles et ce sont eux qui font le terreau humain, riche et varié, nécessaire, indispensable, nourricier tandis que celui-ci est foulé, piétiné, ruiné avant éclosion.
L’ère ( bénie ?) du numérique, le temps virtuel et l’illusion de communication » mondiale » confortent l’isolement en nous affirmant que nous sommes connectés !! Et que celui ou celle qui ne le serait pas soit puni(e) de ne pas obéir aux injonctions de ce monde ! Hinc et Nunc … Aujourd’hui ce monde ne se voit plus, ne se touche plus, ne s’embrasse plus, il glisse sur le web et ses désirs sont exaucés dans le millionième de seconde… Faudra-t-il un jour examiner à la loupe ce que sont ces « désirs » là.
Nous avons le monde d’urgences que l’on mérite. Nous? mais qui sommes-nous en train de devenir ?…

Résistante et nécessaire, la solitude du « peintre » est une image, bien sûr mais elle demeure…
Comme une leçon ?…